Être témoin d'une "sema" (cérémonie religieuse) de l'Orde de Mevlana était important pour moi pour avoir un aperçu sur la communion avec le monde de l'esprit que les derviches disent atteindre par leur tournoiement rituel. Comme la grande majorité des gens, j'ai été élevé à croire aux fantômes, aux esprits et aux dieux mais, après un important combat intérieur, j'ai réussi à me débarrasser de telles croyances qui, comme je le vois maintenant, sont des obstacles à la découverte de ce que nous, les êtres humains, sommes réellement et de ce qu'est notre véritable place dans l'univers. J'en suis finalement venu à penser en termes de probabilités et à conclure que l'existence des fantômes, des esprits, des dieux et des autres entités immatérielles était infiniment improbable. Ce ne fut pas facile de m'exclure de la mouvance générale des croyants qui se consolent à la pensée d'une vie après la mort dans une quelconque forme de monde spirituel. L'abandon de tout espoir raisonnable d'une vie éternelle et l'acceptation de ma mortalité définitive me furent cependant dictés par l'absence du moindre fragment d'évidence objective et vérifiable d'un tel monde spirituel. Ce pas aurait été facile à franchir n'eut été les nombreuses allégations d'expériences dites "mystiques" transcendant l'univers matériel. Bien des pretendues expériences mystiques peuvent être rejetées comme fabriquées de toutes pieces pour servir de source de pouvoir à la classe des prêtres depuis que l'homme a tremblé devant le tonnerre et les éclairs. Un grand nombre de légendes, mythes et dogmes inventés par les classes cléricales pour établir et maintenir leur pouvoir peuvent aussi être rejetés facilement comme étant directement intéressés. Certaines allégations d'expériences transcendantales doivent toutefois être reconnues comme étant le témoignage sincère d'individus honnêtes qui rapportent fidèlement leur perception subjective d'événements qu'ils décrivent comme étant "une illumination", "un éblouissement", "une renaissance", "la vie sur le plan spirituel" ou "une communion avec Dieu". Je trouve ces honnêtes témoignages subjectifs des plus troublants parce qu'ils donnent un sens à la vie des croyants. Je ne pouvais pas les accepter comme évidence de l'existence d'un univers spirituel parce que les événements qu'ils rapportent ne peuvent être ni reproduits ni prouvés faux. Ils m'ont cependant fait hésiter avant de trouver extrêmement improbable l'existence des entités immatérielles auxquelles croient la majorité des gens. Ces rapports honnêtes d'expériences mystiques demandent des explications matérielles parce que des individus moins honnêtes les présentent comme preuves et les utilisent pour manipuler leurs disciples a faire leur volonté. Heureusement, des explications sont en cours d'élaboration car il y a une accumulation croissante d'indices que les "expériences mystiques" seraient des artéfacts du cerveau humain. Cete nouvelle perception ne réfute pas l'existence des "fantômes, esprits et dieux" mais elle disqualifie irrévocablement les rapports de "communication avec Dieu" comme preuves de Son existence et comme indications du sens ultime de la vie. Je voulais voir moi-même les derviches Sufis en action pour avoir une impression directe de la signification de la "perte de son moi" et du "sentiment d'unité" qu'ils rapportent réaliser par leur tournoiement. Je suis allé les voir au Galata Mevlevihanesi dans le Musée de la Littérature Divan sur Galip Desi Caddesi près de la place Tunel. Les Sufis recherchent l'union mystique avec Dieu à travers différents moyens. Les derviches sont les disciples de Jalaluddin Rumi, un poète et mystique du 13e siècle maintenant appelé Mevlana, qui a développé un rituel de chants, prières et tournoiements sur de la musique sacrée qui produit un état de transe qu'on dit être perçu comme une communion avec Dieu par des disciples bien entraînés. L'Ordre de Mevlana est nominalement musulman mais il est ouvert à quiconque recherche l'union mystique avec Dieu comme l'exprime cette strophe de Jalaluddin Rumi:
Les derviches ont eu une profonde influence sur la vie politique, sociale et économique durant l'Empire ottoman alors que plusieurs sultans étaient des Sufis de l'Ordre de Mevlana. Ceci peut expliquer la relative tolérance des Ottomans envers les religions de leurs sujets, tolérance qui offrait un net contraste avec les efforts intenses de prosélytisme des hégémonies musulmanes précédentes et aussi avec ceux des états chrétiens de cette époque. Leur importance a maintenant décliné en Turquie séculière mais ils survivent encore en tant "qu'associations culturelles" et plusieurs d'entre eux ont émigré sur la côte ouest des États-Unis où on peut trouver une demi-douzaine de "tekke" (loges derviches).
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Nous n'étions pas plus de 50 assis autour de la salle octogonale du semahani (hall de cérémonie). Une des sections du balcon était occupée par des musiciens jouant de la flûte "ney", du tambour et d'autres instruments à percussion.
Les derviches vêtus de robes noires défilèrent et s'assirent
sur des peaux de mouton posées sur le sol. Ensuite, ces deux doyens Sufis entrèrent
et s'assirent pour les prières.
Si j'ai bien compris, les deux doyens présidaient comme invités honorés car le semazenbashi (maître de la danse), était assis avec les neuf derviches à gauche.
Après les chants et les prières, les derviches firent le tour, chacun s'inclinant devant les vieux maîtres et les uns devant les autres à plusieurs reprises en reconnaissance de leurs âmes respectives.
Ensuite, les neuf derviches enlevèrent les robes noires qui symbolisent les aspects matériels limités de leur être. Le semazenbashi, aussi nommé seyh ou cheik, s'approcha pour surveiller pendant que chaque derviche saluait les aînés à son tour.
Chaque derviche reçut la bénédiction des aînés sous le regard attentif du cheik et s'éloigna en tournant dans le sens contraire des aiguilles d'une montre sur leur pied gauche.
D'abord avec les mains jointes et bientôt avec les bras étendus, la main droite face au ciel pour recevoir la bienveillance de Dieu et la gauche face à la terre pour la distribuer à toute l'humanité
Une explication hypothétique de la transe derviche va comme suit. Leur tournoiement soutenu amènerait la partie du cerveau responsable de la conscience spatiale (les lobes pariétaux), à éprouver de la difficulté à réconcilier l'information reçue des cinq sens avec celle venant des boucles semi-circulaires de l'oreille interne. Cela causerait le vertige qui inciterait quiconque à cesser de tourner ou à perdre l'équilibre et tomber mais l'entraînement intensif des derviches leur permet de continuer jusqu'à ce que la persitence de signaux contradictoires surcharge le centre des associations spatiales au point d'en causer la fermeture.
Cette partie du cerveau, les lobes pariétaux supérieurs, nous procure la conscience de la dimension spatiale de notre corps. Elle nous dit où nous nous terminons et où commence notre environment extérieur. Une blessure dans cette région handicape tellement notre capacité à manoeuvrer dans l'espace physique que nous ne pourrions plus calculer les distances et les angles nécessaires pour diriger nos mouvements pour aller de notre lit jusqu'à une chaise de l'autre côté de la pièce.
Quand l'intense "surstimulation" du tournoiement provoque la désactivation temporaire de son centre spatial, le derviche perd conscience de où se termine son corps et où commence l'univers extérieur. Grâce à son entraînement, d'autres parties du cerveau maintiennent ses mouvements rituels tandis qu'il a l'impression d'être libéré des limites de son corps physique et de son moi individuel.
La perte de conscience des limites physiques de son corps se traduit par une sensation d'unité avec l'univers qui tourne autour de lui et faut peu peu d'incitation pour amener ses lobes temporaux à interpréter cette sensation exaltée comme une communion de son moi avec Dieu.
J'ai surveillé les visages des danseurs pendant qu'ils tournaient devant moi. En effet, quelques-uns avaient l'air d'être hors de ce monde une partie du temps.
Ils ont tourné et tourné de plus en plus vite pendant plus de 10 minutes, se sont reposés quelques minutes et ont recommencé quatre fois. Personne n'est tombé. Cela démontre bien leur entraînement poussé car ce serait presque impossible pour un humain moyen ayant un centre de conscience spatiale fonctionnant normalement de réussir cet exploit.
Le regard de profonde satisfaction qu'ils affichaient pendant qu'ils défilaient pour sortir était un témoignage éloquent qu'ils venaient de subir une l'expérience extraordinaire. Est-ce que c'était une communion avec Dieu ou est-ce que c'était un artéfact du cerveau humain rendu possible par un ardent désir et un entraînement intensif?
J'ai ma petite idée mais je ne sais vraiment pas. Qu'en pensez-vous?
Vous souhaiterez peut-être consulter les sites web suivants pour obtenir
des informations plus détaillées sur les derviches-tourneurs de la Turquie.
Les Arts Turcs
Sircasaray
Cassiopaea