J'ai dû me rendre à Urgench pour visiter la fabuleuse citée fortifiée de Khiva, car il n'y avait aucun transport direct pour voyageurs individuels. J'ai donc laissé l'appartement que m'avait loué Raisa, je lui ai fait mes adieux et j'ai pris le bus pour la gare routière. Le bus régulier de Boukhara à Urgench avait été annulé à la dernière minute. Les quelques passagers qui avaient déjà pris des billets furent remboursés, mais il n'y avait aucun autre bus. Nous avons marché, trois dames, quatre enfants et moi-même sur deux kilomètres jusqu'au carrefour de l'autoroute pour intercepter le bus direct de Samarkand à Urgench mais celui-ci ne s'arrêta pas et nous avons dû rebrousser chemin sous un soleil de plomb. Finalement un des passagers appela quelqu'un qui avait un bus privé et 18 parmi nous purent quitter à 4 heures de l'après-midi après trois heures d'attente. C'était un peu ennuyeux, mais ça brisait un peu la routine en ajoutant un petit zeste d'aventure... Nous avons pris des passagers tout le long du parcours et le bus fut très vite rempli, comme ils le sont toujours d'habitude.
J'aime le désert car il me force à entrer en communication intime avec moi-même. Il n'y a aucune distraction, aucun divertissement extérieur, seulement la réalité intérieure, seulement ce qui compte vraiment. J'en ai donc profité car je savais qu'au bout de ce désert, l'histoire et les citées du fertile delta Khorezm m'occuperaient beaucoup trop pour pouvoir méditer.
Il faisait 40 degrés Celsius à l'ombre, et le soleil était encore brûlant, tard dans l'après-midi midi, quand nous nous sommes arrêtés pour casser la croûte. Les passagers étaient heureux d'avoir pu embarquer sur ce bus malgré le retard occasionné et ils étaient tous de bonne humeur. Je fus très vite extirpé de mes pensées. Étant le seul étranger à bord, j'attirais beaucoup l'attention des passagers et beaucoup était content de pouvoir tester sur moi leur "Hello" et leur "How are you". Je dois dire que je n'étais pas mécontent de tester sur eux le peu de Russe qui est resté de ce que j'avais appris 40 ans plus tôt à l'université. Aller à Khiva dans un bus climatisée aurait été plus rapide et plus confortable mais certainement beaucoup moins amusant!
C'était une agréable expérience de me sentir si bien avec ces gens, plus particulièrement avec mon voisin de siège, Safar Atadjanov qui rentrait avec son fils Alichev après un voyage d'affaires. C'était une vraie chance d'avoir rencontré Safar, un ingénieur fort intéressant qui dirigeait une usine de coton hydrophile pour une entreprise conjointe entre une firme pharmaceutique allemande et sa ferme collective (kolkhoz). Il m'apprit beaucoup de choses sur l'économie soviétique et la vie dans les kolkhoz, aussi je n'hésitai pas un instant quand il m'invita à passer la nuit dans son kolkhoz à Bagat, 50 km avant ma destination Urgench (où j'avais l'intention de dormir dans le bus car il aurait été difficile de trouver un hôtel au milieu de la nuit).
Le bus nous déposa, tous trois, dans un petit village à cinq kms du kolkhoz. Il était presque une heure du matin et le seul taxi du village, que Safar espérait utiliser, n'était pas là. Nous avons donc été obligés de marcher. Je me félicitai de voyager léger car mon sac au dos de 10 kg était bien plus facile à porter que les encombrantes valises que Safar et Alichev devaient trimballer. Je me félicitai également d'avoir une lampe de poche car la nuit était noire. La route était pleine de nids de poules et nous étions obligés de faire très attention. Nous progressions lentement mais au bout d'une heure environ, la lumière attira l'attention de deux gardes de la milice locale, qui vinrent à notre rencontre dans une vieille voiture. Ils connaissaient Safar; ils nous conduisirent à sa maison où sa sœur et sa mère étaient encore éveillées et attendaient.
Je fus très impressionné par leur hospitalité; il était deux heures du matin passées mais les deux dames nous servirent un repas chaud, un ragoût de mouton, du thé et de délicieux gâteaux. Une expérience mémorable, fixée ici avec Safar Atadjanov, sa sœur Birkajan, son fils Alichev et sa mère Chinegui.
Le lendemain, Safar joua de la musique traditionnelle pour moi et me montra des affiches de son frère qui est un artiste célèbre de cet instrument en Ouzbékistan. Il me présenta à quelques uns de ses proches, me promena dans le kolkhoz et l'usine de coton et me conduisit à un arrêt de camion où il me trouva une place pour Urgench. J'ai beaucoup de chance mais je n'arrive pas à m'y habituer car il m'arrive de penser que je ne mérite pas la gentillesse de gens comme Safar et sa famille. Des expériences comme celle-là me donnent envie de devenir une meilleure personne pour mériter cela!
Ci-dessus, à droite, le frère de Safar, âgé de 63 ans, avec sa femme sur les fondations de la maison qu'ils sont en train de construire avec leurs dix fils et deux filles!
Ici, à gauche, le frère de Safar avec 5 de ses 12 enfants et 2 de ses nombreux petits-enfants.
Il n'y avait rien à voir dans Urgench, moderne et sans intérêt. J'ai raté le bus local pour Khiva, donc j'ai dû trouver et négocier un taxi privé pour le trajet 30 km qui mène à l'ancienne cité.
C'est juste une mosquée de village près de Khiva mais ça valait certainement une photo.
Khiva est très ancienne, elle a probablement été fondée au 5ième siècle, mais ces fortifications ne sont pas aussi anciennes que cela.
Pendant des siècles, Khiva fut un petit fort et un poste commercial sur la route de la soie, alors que la capitale de l'ancienne Khorezm était située ailleurs, surtout dans l'ancienne Urgench qui était le centre de l'Islam sous les Shahs de Khorezm au 13ième siècle. L'ancienne Urgench fut détruite une fois par Genghis Khan et cinq fois par Tamerlan qui la rasa finalement pour s'assurer définitivement la prédominance de sa capitale Samarkand. Les ruines de l'ancienne Urgench sont à environ 150 kms au nord-ouest d'ici près de l'actuel Konye-Urgench au Turkménistan.
Après que les Ouzbeks Sheibanides eurent vaincu l'empire décadent de Tamerlan au 16ième siècle, une branche fonda à Khiva l'État du Khorezm qui resta indépendant de la branche la plus importante de Boukhara. Khiva a connu son apogée comme une importante cité-état, basée sur le commerce des esclaves entre les tribus turkmènes du désert au sud-ouest, et les tribus Kazakhs au nord-est. Les Khans de Khiva se montrèrent sans pitié et fortifièrent bien leur ville pour survivre dans cet environnement hostile. Ils eurent très vite la réputation d'une incroyable cruauté qui est restée le symbole de leur cité.
Khiva fut ravagée par le persan Nadir Shah en 1740 mais le Khanat fut restauré au environ de 1800. Les fortifications et l'Entrée Nord qu'on voit ici datent de cette époque mais elles ont été si lourdement restaurées qu'elles auraient bien pu avoir été construites l'an passé.
Khiva joua un rôle important dans le Grand Jeu engagé entre les émissaires, diplomates et espions Britanniques et Russes cherchaient à étendre leur empires respectifs au moindre coût au 19ième siècle. C'est l'essence de toute la mystique et la romance associées à son nom.
Cette Mosquée et ce Minaret de Juma du 18ième siècle ont été construits sur des ruines du 10ième siècle avec une partie des matériaux originaux. Ci-dessous, à gauche, une autre vue du Minaret de Juma. A droite, une vue complète du Minaret Islom-Huja à coté de la mosquée de même nom qu'on voit encore plus bas.
La médressa et le minaret Islom-Huja, les monuments les plus récents de Khiva construits en 1910, paraissent être plus âges que plusieurs des constructions plus anciennes qui ont été lourdement restaurées.
Malheureusement Khiva a été restaurée à mort et les gens qui vivaient ici ont été chassés, laissant un musée architectural stérile où tout est trop neuf pour avoir un quelconque charme ou mystère.
Le Palais Tosh-Khovli fut bâti entre 1832 et 1841 par Alloquili Khan, l'un des despotes les plus cruels et rétrogrades de Khiva. On mettait la touche finale à la restauration du harem, que l'on voit ici, quand je l'ai visité. Tout était si propre et si bien ordonné que ça semblait irréel et je n'arrivais pas à m'imaginer les dizaines de beautés ravissantes de toutes les races qu'il avait rassemblées pour satisfaire ses appétits charnels.
Il n'est pas étonnant que la Médressa Kultug Murad Inak, qui aurait été construite en 1809, semble si récente; elle vient d'être entièrement reconstruite comme vous pouvez le voir. J'ai eu l'impression de visiter un artificiel Disney land en construction. Peut-être que ces briques neuves auront pris un peu de vieilli dans une cinquantaine d'années. Khiva vaudrait alors la peine d'être visitée s'ils permettent à une partie de la population locale d'y habiter pour lui donner les bruits, les odeurs et les ordures sans lesquels une ville n'est pas une ville.
La version originale de cette Médressa fut construite au 19ième siècle par le Khan Mohammed Rakhim II qui se rendit aux russes en 1873. Elle fut lourdement restaurée comme tout le reste de Khiva.
Quand j'y pense, je me dis que j'avais de la chance d'être venu ici pendant la saison morte, sans aucun autre touriste aux alentours. J'imagine à quoi aurait ressemblé ce Disney land envahi par 20 bus pleins de groupes organisés de photographes amateurs et d'admirateurs occupant toute la place avec leurs "ahs" et "ohs" bruyants!
Voici l'entrée de l'Arche Kukhna qui était une forteresse construite dans la forteresse pour servir de résidence et éventuellement de dernière retraite des Khans de Khiva. J'étais venu de loin pour voir Khiva et j'étais quelque peu déçu de voir comment la restauration à outrance avait ôté à cette place la capacité de stimuler l'imagination qu'elle devait certainement avoir avant ce nettoyage. Heureusement j'avais la place à moi tout seul, j'ai donc pu rêvasser un peu... J'ai passé la nuit ici, pas dans l'Arche, mais dans un hôtel et le lendemain matin je suis parti pour la frontière du Turkménistan sans visa...