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L'Argentine, riche et en banqueroute

 

 

L´Argentine est déchirée par de cruelles contradictions, c´est un pays riche dont le gouvernement prétend ne pas pouvoir payer ses dettes.

Plus de deux des quatre mois de voyage de cette année ont été consacres a l´Argentine. Lors de mon précédent séjour ici en 1994 le peso argentin valait un dollar américain. L´Argentine était chère alors je n´ai pas traîné plus qu´il faut...  Maintenant que le peso est tombe a trois au dollar, voyager ici n´est pas plus cher que dans les pays voisins. Je suis donc reste plus longtemps pour essayer de comprendre comment ce pays confus et désordonné c´est mis dans le merdier dans lequel il se trouve aujourd´hui.

Au début du 20ieme siècle l´Argentine était le plus riche et mieux développé des pays d'Amérique latine. Elle pouvait aspirer a un avenir comparable a celui du Canada et de l´Australie (PIB 22 500 et 20 200 $US/H  - IDH: 0.932 et 0.922). Au lieu, elle est demeurée un pays du tiers monde avec 54 % de la population au dessous du seuil de pauvreté, un PIB de seulement 10 300 $US/h et un faible Indice de Développement Humain de 0.827.

Il est difficile de comprendre, pour moi et même pour les argentins, ce qui n´a pas marche mais plusieurs d´entre-eux ont émis l´opinion que leur caractère fortement individualiste y est pour quelque chose. L'examen de l'histoire du pays montre que la plupart sinon tous ses politiciens se sont mieux occupe de leurs intérêts personnels que de ceux de la nation et les gens les ont laissé faire tant que leurs propres intérêts  n´étaient pas en jeu. Cette attitude égocentrique se retrouve partout.  La discipline sociale n´est pas chose courante. Pour l´argentin moyen, une file d´attente présente le défi irrésistible de chercher a passer devant les autres; tout le monde se plaint de la corruption généralisée mais personne n´hésite a donner une “coima” de quelques pesos a un policier pour éviter une contravention d´excès de vitesse; éviter de payer la taxe de la valeur ajoutée de 21% est non seulement acceptable, c´est même a la mode comme signe de « viveza »! Une traditionnelle culture de corruption est profondément enracinée dans tous les niveaux de la société (rang de 92 sur 133 de l'indice de corruption de Transparency International.).

Il n'est pas facile de trier le vrai dans tout ce qui se publie dans les media argentins au sujet du bras de fer qui se joue entre le président Nestor Kirchner et la directrice du Fonds Monétaire International, Anne Krueger qui exige que la question des 90 milliards en défaut dus aux banques et prêteurs privés soit réglée avant d´envisager de refinancer les 15 milliards de dollars dus au FMI par l'Argentine.

Après avoir créé plusieurs nouvelles devises pour camoufler l´inflation chronique qui l´épuisait depuis des décennies, (le peso légal en 1975, le peso argentino en 1978 et l´Austral en 1985), le gouvernement de l'Argentine avait cru pouvoir juguler  l'inflation en établissant la convertibilité paritaire entre le peso et le dollar US en 1992. Ça faisait de l'Argentine le pays le plus cher de l'Amérique du Sud mais ça flattait l'orgueil national (qui est considérable), de voir le peso l´égal au dollar.

La convertibilité paritaire voulait surtout dire que le gouvernement ne pouvait plus imprimer des billets a volonté pour couvrir ses déficits. Cela n'a toutefois pas empêché le gouvernement corrompu de Carlos Menem de vivre au dessus de ses moyens. Il finança ses largesses envers l'establishment en augmentant encore plus la dette publique déjà lourde a porter et en privatisant toutes les entreprises d´état (y compris les postes). Il convient de signaler ici que ces privatisations massives dans un pays corrompu ont conduit a l'enrichissement massif de la classe politique et de ses amis tout comme cela s'est produit en Russie. Les exportations devinrent non compétitives, le chômage a bientôt dépassé les 20%, le pays s´est trouve en récession et la classe moyenne, lourdement grevée d´impôts, fut décimée.

La "ballounne" a finalement pété en 1998 lorsque la banque centrale ne fut plus capable d'honorer la convertibilité  Au lieu de dollars les épargnants se sont vu remettre par leur banque diverses obligations libellées en pesos et remboursables sur une dizaine d´années. En 1999 Fernando de la Rua fut élu pour ses promesses d´éliminer la corruption et d´équilibrer le budget mais ses mesures d´austérité et les restrictions qu´il a impose sur les retraits bancaires ont soulevé une tempête économique et politique qui a atteint un paroxysme lorsque le pays est tombe en défaut du remboursement d´emprunts de 132 milliards de dollars US en décembre 2001. Les émeutes, le pillage et le chaos civil qui suivirent forcèrent sa résignation. Il fut remplace par Duhalde qui s´est empresse de dévaluer le peso par 50% faisant perdre la moitié de leurs épargnes aux détenteurs de comptes bancaires et d'obligations en pesos.

Le pays est en banqueroute. En termes politiquement acceptables, on dit qu'il traverse une grave crise financière. La dette de l'Argentine de 180 milliards est presque une fois et demie son PIB de 125 milliards de dollars en 2003. Elle comprend en gros, 40 milliards dus a des argentins, 50 milliards dus aux gouvernements et institutions internationales (dont 15 au FMI), et 90 milliards dus a des banques et prêteurs prives dont l´échéance est passée depuis plus de deux ans.

Le panier de crabes fut alors confie a un habile politicien de la Patagonie, Nestor Kirchner, qui jouit d´un certain charisme et qui ne se gêné pas pour manipuler la réalité.  Kirchner soutient que les prêteurs sont aussi responsables de la dette que les gouvernements argentins précédents qui l´ont contractée. A mon avis, ceci est aussi immature et irresponsable que le sont les adolescents trop gras qui poursuivent en justice la chaîne McDonald pour les avoir rendus obèses! Kirchner admet que les gouvernements et institutions internationales (dont le FMI) doivent être rembourses a 100% mais il refuse de rembourser plus que 25% des 90 milliards dus aux banques et détenteurs d´obligations prives. Cette discrimination est contraire aux plus élémentaires règles d'équité.

Les arguments les plus farfelus sont valables pour lui et pour les  media qui l'appuient (contrôlés par l'establishment bien sur).  Des conférences de presse de soi-disants « experts" abondent pour justifier le non-paiement de la dette (l'Argentine est tout a fait incapable de rembourser une si lourde dette, une partie de la dette a été contractée. par le régime illégal de la dictature militaire,  les prêteurs qui ont exige des intérêts élevés car savaient bien que les titres de dette argentins comportaient des risques devraient maintenant accepter leur perte comme a la loterie etc.). On minimise la réalité. de cette dette en y référant comme étant"quelques écritures symboliques dans des ordinateurs gardes dans des capitales étrangères".  Kirchner va plus loin en démonisant les détenteurs d'obligations en souffrance qu´il qualifie de "buitres", vautours qui veulent déchiqueter la pauvre Argentine maintenant qu´elle est a bout de souffle de chercher a satisfaire les exigences du FMI (de saine gestion financière.). Il fait ça si bien que qu´il fait sortir les mouchoirs de son auditoire argentin mais je doute fort qu´il obtienne la même réaction des milieux financiers internationaux.

Il est étonnant de voir comment un habile politicien servi par des media complices peut faire avaler a  la majorité de la population qu´il est correct et honorable  pour l´Argentine de ne pas rembourser 90 milliards de dettes alors que des citoyens argentins privilégiés (propriétaires terriens, magnats de l´industrie et du commerce et politiciens) ont mis a l´ombre plus que 100 milliards dans des banques et abris fiscaux étrangers.

L'influence écrasante des media de masse sur l'opinion publique en Argentine montre combien vulnérable la "démocratie" peut être a une compagne de propagande bien orchestrée. La concentration de la propriété des média entre les mains de quelques groupes fait qu'il est maintenant possible de "commercialiser" des idées politiques de façon aussi efficace que des biens de consommation. Et ça marche! Il suffit de voir comment les média contrôlés par l'establishment ont utilisé les mensonges et déceptions de Bush pour vendre sa guerre d'Irak aux citoyens américains. La vérité n'est plus pertinente, tout ce qui compte, c'est d'obtenir les résultats. Quant je me rends compte de ça, je me demande à quel point mes propres attitudes politiques peuvent être des memes manipulées par les média.

La classe moyenne a presque disparu sous le régime Mennen laissant l´oligarchie dominante avec une majorité de la population qui survit au dessous du seuil de la pauvreté L´impôt sur les revenus des personnes, la taxe sur les actifs et les impôts de succession qui sont utilisés pour redistribuer la richesse dans les pays démocratiques socialement avancés, n´existe pas en Argentine. Les diverses taxes et prélèvements qui financent les budgets fédéral et provinciaux s´appliquent de la même façon aux riches et aux pauvres. A cause de cela et d´une administration fiscale corrompue, le fardeau fiscal des privilégiés est proportionnellement beaucoup plus faible que celui des autres citoyens.  Il n´est donc pas surprenant que l´Argentine soit un champion de l'inégalité sociale, son coefficient "gini" de 0.65 est parmi les plus élevés de l'Amérique latine.

La dette de l´Argentine n´est pas une écriture abstraite comme le prétend Kirchner, ça représente les épargnes des prêteurs, les sommes prêtées ont servi a exécuter des travaux et importer des biens dont certains Argentins ont bénéficié. Le problème, c´est ceux qui ont le plus bénéficié. de ces sommes payent pas ou peu d´impôts et qu´une partie de ces fonds se retrouve maintenant dans des comptes numérotés a l´extérieur du pays.

Je reconnais que que rembourser la dette serait difficile pour la majorité indigente du pays selon le système fiscal actuel mais pense que ce serait différent si les privilégiés étaient obliges d´y  contribuer.  Cent quatre-vingt milliards de dollars, c´est beaucoup d´argent, ça ne disparaît pas en fumée, ça laisse des traces qu´il y aurait lieu de suivre pour déterminer qui devrait rembourser la dette et comment. Mais ce n´est la qu´une opinion personnelle. La majorité des argentins semble croire que ne pas payer la dette serait parfait.

Pour moi, ne pas payer mes dettes serait honteux mais cela ne semble pas affecter l´énorme estime de soi des argentins qui se croient plus fins, plus beaux et plus intelligents que leurs voisins sud-américains. Les argentins se prennent pour des européens mais ils n´ont pas la discipline, la solidarité et le respect de l´intérêt commun sans lesquels  l´Union Européenne et l´Euro n´auraient pas été possibles.

Les enjeux a court terme du problème de la dette sont considérables. Si Krueger réussit à obliger l'Argentine de payer ses dettes, le gouvernement devra appliquer des réformes fiscales imposant une contribution a la riche oligarchie dominante car c'est là que l'argent est allé et car la majorité appauvrie ne pourrait pas honorer les engagements du pays toute seule. A mon avis d'importantes nouvelles taxes pour les riches sont improbables comte tenu du contrôle que l'oligarchie exerce sur l'opinion publique et le gouvernement par l'entremise des média. Si Kirchner réussit à se défiler des engagements du pays, ce sera la victoire de la manipulation, de la corruption et de la spoliation d'un pays par son élite. La même situation, transposée dans le monde des affaires serait une banqueroute frauduleuse passible de poursuites criminelles.

Ce sera surtout un dur coup pour le système financier international qui repose avant tout sur la confiance...

A plus long terme, je ne vois pas comment l´Argentine pourra trouver une solution durable a ses problèmes financiers sans une sérieuse réduction de l´individualisme excessif de ses citoyens et le développement d´un sens de responsabilité collective qui me paraissent nécessaires pour mener a bien la lutte contre la corruption qui, a mon avis, est la principale cause des problèmes du pays.

Les peuples ne changent pas leurs caractéristiques nationales facilement. Les Européens do nord persistent a être réservés et ceux du sud a être expansifs.  Les Américains sont encore chauvins et manichéens, les Chinois restent industrieux, les Japonais, accrocs du travail, et ainsi de suite... Il est peu probable que les Argentins égocentrés découvrent tout d'un coup les valeurs collectives, la discipline civique et le sentiment de constituer une nation qui seraient requis pour que leur pays puisse se libérer de la corruption et de l'inégalité sociale extrême qui empêchent son développement.. Ce ne sera pas facile au peuple argentin de se libérer de l'héritage absolutiste espagnol a l'effet que le pouvoir légitime vient du sommet de la pyramide et non pas de sa base. Vu de l'exterieur, le pays semble destine a rester instable et vulnérable a des dictatures militaires périodiques comme il l'a été depuis son indépendance de l'Espagne.

 

Le caractère argentin

En deux mois j'ai rencontré une foule de gens dans 16 villes et villages mais je n'ai rencontré aucun de la puissante oligarchie qui contrôle le pays. Les citoyens ordinaires de la classe moyenne supérieure aux pauvres me faisaient penser à des adolescents timorés pensionnaires d'une école stricte cherchant à paraître braves mais secrètement terrorisés par le préfet de discipline. Je suis venu à les considérer victimes de la cupidité de l'élite à laquelle ils confient leur avenir. Une succession de dictatures cruelles a sans doute laissé ses traces dans le caractère national. L'égocentrisme national, vu comme une manifestation de l'instinct de survie, attire compréhension te sympathie.

Maintenant que l´égocentrisme argentin a été examiné, il est seulement juste de traiter de deux autres composantes bien connues de leur personnalité, leur considérable estime de soi et leur tendance marquée d´être hospitaliers envers les étrangers.

Les Argentins aiment bien plaisanter au sujet de leur orgueil démesuré.  J'ai entendu des douzaines de ces histoires mais je ne vous en présente qu'une. "Quelle est la plus courante forme de suicide en Argentine?" - "Se jeter dans le vide du haut de son orgueil!" Malheureusement, les voisins sud américains qui sont l'objet du mépris argentin n'apprécient pas ce trait du tout et qualifient les argentins de hautains, de superbes et de quelque autres expressions qu'il vaut mieux ne pas imprimer...

Après tous ces commentaires critiques sur leur caractère, j'ai le plaisir de pouvoir souligner avec emphase la remarquable cordialité et hospitalité avec laquelle les Argentins accueillent les étrangers. Cette tradition d'hospitalite viendrait, paraît'il, des premiers gauchos nomades de la pampa qui vivaient du bétail sauvage avant que les terres ne soient distribuées aux grands propriétaires terriens. Cette tradition a été transmise au travers des âges et maintenue même dans les villes. J'ai visité bien des peuples dans nombre d'endroits mais peu m'ont reçu aussi chaleureusement.

Enfin, je trouve qu'il est juste de partager avec vous l'excellente analyse du caractère argentin que j'ai reçue par courriel d'un lecteur argentin particulièrement lucide en réponse à cette page. Permettez moi aussi d'ajouter que je trouve que les gens sont plus attachants par leurs défauts que par la perfection. L'Argentine est définitivement un pays que je serai heureux de visiter de nouveau.

 

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