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Impressions de Cuba

 

 

Après avoir connu de première main les périodes pré et post soviétiques dans les pays du "Commonwealth of Independent States" (CIS) (en '65, '71, '94 et '97 et en Chine à la même époque (en '73, '96, '97 et 2000), je me devais de retourner à Cuba pour y constater l'évolution depuis ma première visite en 1976. En fait, je n'avais pas vu grand-chose du vrai Cuba pendant ma semaine de vacances à la plage de Varadero car mon groupe d'adeptes du soleil avait été soigneusement encadré et conduit à des endroits sélectionnés comme cela se fait partout dans le monde avec les forfaits touristiques . Cette fois cependant, j'ai voyagé seul sac au dos là où j'avais choisi de le faire et j'ai rencontré plusieurs Cubains, quelques-uns par hasard et d'autres grâce à des contacts préalables par internet.

Tandis que la Russie et ses anciens pays satellites sont devenus la proie d'un capitalisme sauvage et effréné et que la Chine se dirige prudemment vers un marché économique ( voir Impressions '97), Cuba a fermement maintenu son idéologie marxiste en dépit de l'extrême privation causée par la perte du support économique de son ancien mentor soviétique et par l'intensification de l'embargo vindicatif imposé par le gouvernement des États-Unis pour apaiser le riche lobby d'immigrants cubains d'extrême droite basé à Miami.


Les memes communistes prédominent

Le gouvernement cubain a pu maintenir son régime totalitaire grâce à trois facteurs majeurs:

a) Il n'y a aucun doute que le leadership charismatique et les remarquables capacités intellectuelles et physiques de Fidel Castro ont joué un rôle majeur dans le maintien du moral et de l'unité du peuple cubain pendant la très difficile période de la crise jusqu'au rétablissement d'une certaine croissance en 1994. À l'unanimité le peuple cubain aime, respecte et admire son héros national en dépit des lacunes de son régime. Néanmoins, il est âgé de 74 ans et personne n'est éternel.

b) La proximité de la Floride et la politique d'accueil des États-Unis envers les dissidents a facilité la suppression sélective d'éléments qui auraient pu constituer une opposition interne au régime. Ce sont généralement les plus entreprenants et les plus ambitieux qui ont quitté, laissant derrière les plus dociles et les plus obéissants. Cela a signifié moins de troubles pour l'état mais aussi la perte des ressources humaines spécifiques nécessaires pour augmenter la productivité lamentablement faible de l'économie cubaine.

c) Finalement, je soutiens que l'embargo sévère imposé par les États-Unis n'a pas produit la révolte espérée contre le régime en grande partie parce que le peuple cubain a hérité de la tendance à être des croyants que l'on retrouve dans toutes les anciennes colonies de l'Espagne catholique et absolutiste. J'ai l'impression que l'orientation de placer la foi en des idéaux au-dessus des dures réalités de la vie a joué, et joue encore, un rôle important dans les attitudes politiques de la plupart des Cubains.

Je pense que l'attachement du peuple cubain envers des idéaux révolutionnaires l'a empêché de passer à une économie de marché pratiquement d'un jour à l'autre comme l'ont fait les populations ex soviétiques pour qui la foi au communisme avait été sévèrement ébranlée par la corruption honteusement visible des hauts niveaux de leurs gouvernements. J'ai senti que la révolution cubaine était encore très présente dans l'esprit de la majorité des gens que j'ai rencontrés même si elle a eu lieu il y a 42 ans. La révolution et le socialisme cubains sont devenus une religion. Pour la plupart des Cubains, les figures héroïques d'un Che Guevara idéalisé et de l'indomptable leader Fidel, occupent le devant de la scène, bien en avant des images flétries du Christ en croix et de la Vierge Marie et sur les divinités africaines de Santeria encore plus fades quoique toujours présentes.

Les memes communistes prédominent encore à Cuba malgré la résurgence marginale des religions depuis le fond de la crise économique de '93 et la visite du pape en '98. Il m'est difficile de prévoir comment l'opinion publique pourrait évoluer car les gens évitaient les discutions politiques et personne ne critiquait le gouvernement. Deux bonnes indications du contrôle de l'état sur la circulation des memes à Cuba.


Les grandes réalisations

La plus grande réalisation de Cuba est définitivement de s'être affranchie de la tutelle américaine. Nous oublions facilement les conditions de vie des travailleurs Cubains moyens avant la révolution. La Havane était le bordel des Caraïbes aux mains de la mafia américaine. Les terres appartenaient à des corporations américaines gigantesques et à une poignée de grands propriétaires tandis que le pays était gouverné par le dictateur Fulgencio Batista et ses acolytes. La violation des droits humains, la torture et l'élimination des adversaires politiques étaient excusées par les État-Unis tant que leur pantin servait leurs intérêts. Le même genre de colonialisme fut pratiqué par les États-Unis avec Trujillo en République Dominicaine, avec Somoza au Nicaragua et avec Marcos aux Philippines. En avoir débarrassé Cuba doit être reconnu comme une grande réussite du peuple cubain.

Une autre réalisation importante de la révolution cubaine fut de limiter les privilèges des membres du parti et du gouvernement pour éviter l'instauration de la classe apparatchik corrompue qui fut une caractéristique du communisme soviétique et dont les excès sont largement responsables de la désintégration de l'empire soviétique. La condamnation à mort du général Ochoa et de trois autres fonctionnaires corrompus en '89 confirmait la position du gouvernement cubain sur la corruption.

Troisième dans cette liste, mais la plus importante pour le cubain moyen, est la mise en place réussie de services médicaux gratuits (le nombre de personnes par médecin a chuté de 1 076 en 1959 à 183 en 1996). Le succès du système, mis en évidence par une réduction de la mortalité infantile de plus de 60 pour mille à 7,2 et par une augmentation de l'espérance de vie de 62,6 à 76 ans en l'espace de 40 ans est sans contredit une remarquable performance.

Également impressionnant est le système d'éducation publique gratuit à tous les niveaux et accessible à tous de Cuba. En 40 ans, il a élevé le niveau d'alphabétisation de 76,4% à 98,1%, le plus haut taux en Amérique Latine. Au milieu des années '90 Cuba avait 530 000 diplômés universitaires (5% de la population) desquels 5 000 détenaient des doctorats.

Finalement, la révolution a atteint son but d'améliorer le sort des pauvres. En 1953, 40% des plus pauvres partageaient seulement 6,5% des revenus. En 1996, ils recevaient 26% comparativement à 22,4% en Hollande, 14,1% en Argentine, 12% au Costa Rica, 10,3% au Venezuela, 9,9% au Mexique et 7% au Brésil et au Pérou. (Le coefficient d'inégalité Gini qui était de 0,57 en 1953, a chuté à 0,27 en '78 et à 0,22 en 1986).

Le bilan net de ces succès, c'est le bon état de santé et les compétences des ressources humaines de Cuba qui constituent sa plus grande richesse.


Problèmes

Mais il y a aussi l'autre côté de la médaille. Cuba a plusieurs points faibles dont certains très sérieux. Les plus pressants sont les problèmes économiques découlant de l'effondrement de l'empire soviétique qui achetait le sucre de Cuba à des prix élevés et qui fournissait de l'équipement, des produits manufacturés et de la technologie à rabais. L'embargo vindicatif des États-Unis, aggravé par les lois Torricelli (1992) et Helms-Burton (1996), n'a pas atteint son but de faire chuter le régime de Castro mais il a causé une sévère dégradation des relations commerciales de Cuba avec le monde (prix plus faibles à l'exportation et plus élevés à l'importation). Les principaux résultats de ces lois "à courte vue" furent d'imposer de plus grandes privations au peuple cubain, de durcir la position du gouvernement et d'engendrer une vague de sympathie répandue à travers le monde pour le Cuba opprimé, frappé durement par un adversaire démesurément puissant pendant qu'il était à terre.

Pendant les pires moments de la crise, en '92 et '93, le peso chuta à 150 contre un dollar sur le marché noir, forçant le gouvernement à légaliser en 1994, la circulation du dollar qui était devenu la devise préférée. Depuis ce temps, le peso a grimpé à 21 pour un dollar mais c'est encore beaucoup moins que son actuel pouvoir d'achat local. Le système de deux devises cause de sévères inégalités entre les travailleurs cubains salariés au peso et ceux qui reçoivent des dollars de parents à l'étranger ou qui les obtiennent des touristes. Un propriétaire résidentiel louant deux chambres à La Havane peut retirer en moyenne 1 000 $US par mois ce qui est 50 fois plus que le revenu d'un professionnel bien payé.

Les salaires sont très faibles, allant de moins de 200 pesos par mois pour un travailleur agricole à 500 pesos par mois pour un chirurgien qualifié (10 et 25 $US/m au taux actuel d'échange). Cependant, les gens se débrouillent quand même avec si peu parce que les prix des aliments de base sont largement subventionnés, parce qu'ils ne paient pas d'impôts ou de taxes et parce que plusieurs services sont gratuits (santé et éducation), ou presque gratuits (habitation). Les produits de base, le riz et les fèves qui se vendent en pesos pour l'équivalent de 50 cents US le kilo sur le marché libre, sont fournis à 2,5 cents le kilo dans les boutiques subventionnées. Le poulet se vend 2.00 $/kilo et le porc 1,50 $/kilo.

Les produits importés sont rares et doivent être payés en dollars. En fait, il y a trois marchés: un marché à faible prix subventionnés pour les nécessités de base, un marché à prix élevés en dollars pour les produits importés et les services aux touristes et un important marché noir à des prix intermédiaires pour des items détournés (volés) des sources normales. En réalité, les temps difficiles ont provoqué le vol répandu par les employés du bas de l'échelle dans presque toutes les entreprises de l'état. Ces mêmes temps difficiles et le nombre croissant de touristes détenant des dollars ont aussi provoqué l'apparition d'une industrie du sexe active non seulement à La Havane mais aussi dans les plus petites villes que j'ai visitées. Comme cette industrie apporte des devises fortes grandement nécessaires(particulièrement de l'Italie et de l'Espagne, les "jineteras" (prostituées) et les inévitables "jineteros" sont tolérés par les autorités. L'opportunisme du gouvernement à ce sujet est dégradant car il dispose d'un contrôle suffisant pour mettre fin à ce commerce s'il le souhaitait.

L'économie de Cuba récupère lentement de son faible niveau de 1993 mais la croissance est principalement due à l'industrie du tourisme dont l'embargo américain ne pouvait pas empêcher l'expansion. Le revenu en devises fortes provenant du tourisme s'est accru de 200 millions de dollars en 1990 à 2 800 millions en 2000 (plus de deux fois la valeur des exportations de sucre). Cuba n'avait pas d'autre alternative au développement massif du tourisme mais il devra faire face à la dégradation qui va avec. Paradoxalement, l'embargo US, largement responsable du remplacement de l'économie du sucre par celle du tourisme, a exclu investisseurs américains de ce marché lucratif.

Finalement (in cauda venenum),même si j'ai été favorablement impressionné par le peuple cubain et ses réalisations, je ne peux ni accepter ni excuser les efforts constants du régime pour contrôler l'esprit des gens. Je pense que la liberté d'expression et l'accès à l'information sont essentiels à toute civilisation digne de ce nom. L'atmosphere est saturée de propagande politique et les médias jouent sans cesse des variations sur le thème de "la glorieuse révolution qui va régner". Chaque jour une table ronde télédiffusée en première heure (6-8pm) loue les vertus du régime et expose les funestes échecs des pays capitalistes en général et ceux des États-Unis en particulier. C'est vraiment lourd!

Pas un seule fois n'ai-je vu ou entendu dans les médias la moindre timide suggestion du genre "le gouvernement pourrait peut-être considérer de ...". Les rois espagnols ne reconnaîtraient probablement pas la doctrine mais ils seraient fiers de retrouver leur héritage dans la façon de répandre "La vérité". J'ai trouvé les Cubains spontanément accessibles et sympathiques mais j'ai eu l'impression que mes questions inquisitrices embarrassaient la majorité d'entre eux car ils faisaient des acrobaties pour éviter un échange ouvert sur la situation politique (à l'exception de quelques militants et membres du parti qui défendaient vigoureusement l'utilisation de la propagande pour contrer celle vicieusement hostile émise de Miami par la Fondation Cubaine Américaine (émissions qui sont très efficacement brouillées par les autorités cubaines de toute façon).

Cuba peut être fier de ses grandes réalisations sociales mais si elles ont été accomplies par le viol des cerveaux, elles deviennent aussi horribles à mes yeux que les pyramides construites par des esclaves ou que les grandes cathédrales construites par la foi aveugle à l'époque où l'expression de doutes conduisait au bûcher des hérétiques.

 

 

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