Les Grands Empires des Steppes d'Asie
Le but de ces notes est de donner un rapide aperçu
sur l'histoire des grandes tribus nomades dont les 20 siècles d'existence
ont contribué à façonner les pays que j'ai visité
pendant mon voyage. J'ai personnellement trouvé ces tribus fascinantes
car, groupées sous le nom de "barbares", leur histoire
est peu connue en occident, bien qu'elles aient eu une très grande
influence sur tous les peuples sédentaires qui se sont établis
autour de leurs empires steppiques.
Les steppes et les déserts qui couvrent une grande
partie de l'Asie entre les forêts du nord et les fertiles bassins
du sud étaient habités depuis l'âge du bronze (2000
- 1500 avant Jésus Christ), par des sociétés organisées
dont l'histoire est mal connue car, étant nomades, ces peuples n'ont
pas laissé de traces physiques (villes, forts, châteaux, temples,
monuments, etc.), signes du passage des sédentaires qui pratiquent
l'agriculture. Ils ont cependant laissé des objets de bronze, d'argent
et d'or d'une étonnante antiquité et sophistication (haches
de bronze de 1500 ans avant Jésus Christ en Sibérie, bronze
et or Cimmérien de 1200 ans avant Jésus Christ dans la steppe
au nord de la mer Noire, or Scythe de 800 ans avant Jésus Christ
au nord de la mer Caspienne, objets de bronze des Hiong-nou de 600 ans
avant Jésus Christ de Baïkal et Chita, etc.).
Les tribus qui nomadisent d'un pâturage à
l'autre dans les vastes steppes sont les ennemis naturels des communautés
fixes qui ont choisi de mener une vie sédentaire basée sur
l'agriculture. Les nomades ne possèdent que ce qu'ils peuvent emporter
alors que les cultivateurs accumulent des surplus qui deviennent un butin
tentant pour les pillards nomades. Cette vérité profonde
a été un des plus importants facteurs de l'histoire de la
Chine, de la Russie et de l'Asie Centrale jusqu'à ce que les canons
et les mousquets eurent raison de l'avantage naturel dont disposait l'archer
monté à cheval sur le fantassin.
L'histoire des tribus des steppes est très complexe. Elles étaient
en perpétuel mouvement, quelquefois sur de longues distances et leurs allégeances
étaient de courte durée car elles n'étaient attachées
à aucun territoire particulier. Pour les besoins de ce récit, ces notes
ont donc été limitées aux événements les plus importants
qui ont marqué les pays que je viens de visiter. Elles ont également
été simplifiées pour faire ressortir les liens communs entre
la Chine et les pays de l'ex Union Soviétique, objets de ce texte. Pour débuter,
on peut regrouper les peuples des steppes en trois principales familles linguistiques,
les Indo-Européens, les Turcs et les Mongols. Il est aussi
utile de suivre l'évolution de leur identité religieuse entre les Chamanistes,
les Manichéistes, les Nestoriens, les Bouddhistes et les Musulmans pour comprendre
leurs mouvements.
Les barbares Cimmériens, Scythes (ou Saka) et Sarmates
cités dans l'histoire grecque et romaine parlaient des langues indo-européennes.
Les Saka, qui arrêtèrent l'expansion vers l'est d'Alexandre
le Grand, dominèrent le nord de l'Asie Centrale et des tribus apparentées,
les Yue-tche occupaient le Kansou et les oasis du bassin du Tarim quand
les Han ont commencé leur expansion vers l'ouest en 200 avant Jésus
Christ. Expulsés de Kansou par les Han et du Tarim par les Hiong-nou,
les Yue-tche se déplacèrent vers l'ouest dans les terres
Saka et les deux envahirent la Bactriane grecque autour de 150 avant Jésus
Christ donnant naissance à la dynastie indo-européenne Bouddhiste
Koushâna qui domina le nord de l'Inde, l'Afghanistan et la Sogdiane
jusqu'au 3ième siècle après Jésus Christ. Les
Tadjiks d'aujourd'hui sont des descendants de ces tribus,
convertis à l'Islam. Leur langue indo-européenne est semblable
au Persan mais ils sont entourés maintenant par des peuples turcs
parlant l'Ouzbek, le Kirghiz et l'Ouïgour.
Il semble que la culture et les langues turques soient
nées au 5ième siècle avant Jésus Christ autour
du haut du bassin du fleuve Ienisseï dans la Sibérie d'aujourd'hui.
Des tribus turcophones ont émigré de ces terres vers l'ouest
dans les steppes, au nord des lacs Aral et Balkhach où elles ont
donné naissance aux Huns qui plus tard, au 4ième siècle
après Jésus Christ, ont arraché aux tribus autochtones
indo-européennes le contrôle des plaines entre l'Oural et
les montagnes Carpates. Un siècle plus tard ces féroces cavaliers
semèrent la terreur en Europe sous la direction d' Attila.
A la même époque, d'autres tribus turcophones ont émigré
vers l'est dans les steppes au nord de la Chine où elles furent
connues sous le nom de Hiong-nou par les Chinois dès le 4ième
siècle avant Jésus Christ. Le Grand Mur de Chine fut construit
par les dynasties Qin et Han pour se défendre des razzias de leur
redoutable cavalerie. La chute de la dynastie Han en 220 après Jésus
Christ a laissé une Chine faible et divisée et un siècle
plus tard les Turcs T'o-pa conquirent le nord de la Chine, adoptèrent
le Bouddhisme et le style de vie des chinois et fondèrent la dynastie
des Wei du Nord
Pendant ce temps, des tribus parlant le mongol et dirigées
par des "Khans" de l'est de la Mongolie et de la Mandchourie
commencèrent leur expansion vers les steppes du nord précédemment
occupées par les Hiong-nou turcophones conduits par des "Chan-yu".
Au 5ième siècle leur empire mongol "Jouan-Jouan"
contrôlait les steppes depuis la Mandchourie jusqu'au lac Balkhach
y compris plusieurs tribus turques comme les Kirghiz de l'Ienisseï.
Ce premier empire mongol fut cependant de courte durée.
Boumin, un vassal turc, se rebella et écrasa complètement
ces Mongols en 552 avec l'aide des Wei du nord qui se sont souvenus de
leurs origines turques. Boumin a prit le titre de Khan des Turcs Bleus
(ou T'ou-kiue) dont les Khanats de l'Ouest et de l'Est dominaient les steppes
du nord, depuis la Mandchourie à la mer Aral. Le Khanat de l'Ouest
exista pendant plus d'un siècle avant que ses tribus ne soient dispersées
par l'expansion des Tang vers l'ouest en 651. Quant au Khanat de l'Est,
il connut un meilleur sort car il s'est étendu sous la direction
du Khan Motcho qui, avant sa mort en 716, a soumis plusieurs tribus turques
indépendantes comme les Kirghiz de l'Ienisseï et les Qarlouq de
l'Ili. Il est cependant tombé en 744 à la suite de la rébellion
des tribus Basmil, Qarlouq et Ouïgour.
Les Ouïgours fondèrent sur ses ruines leur
propre dynastie Ouïgoure qui a dura un siècle (744 - 840).
Les Ouïgours (des environs du fleuve Selenga), ont développé
l'un des premiers alphabets turcs en adaptant l'ancien alphabet sogdien
à la consonance des phonèmes turcs. A la suite de la défaite
des Tang sur le fleuve Talas en 751, la Chine était expulsée
de l'Asie Centrale et subit huit ans d'une guerre civile menée par
le mercenaire mongol Nan Luchan. L'Empereur Tang demanda alors l'aide du
Khan Ouïgour, lui donnant en échange la main d'une de ses filles.
Le Khan Ouïgour Mo-yen-cho accepta et aida les Tang à reconquérir
Luoyang en 757. En 762 son fils Teng-li Meou-yu reprend de nouveau Luoyang
des mains des rebelles pour les Tang. Il y rencontra des missionnaires
Manichéens qu'il ramena avec lui en Mongolie pour convertir son
peuple. L'écriture Ouïgoure, la religion Manichéenne
et les fréquents échanges amicaux entre leur capitale Qara-Balgassoun
et la Chine eurent pour effet de civiliser mais aussi d'affaiblir les Ouïgours.
Ils furent envahis en 840 par les Kirghiz, restés sauvages, qui
les replacèrent au cœur de la Mongolie. Vaincus, les tribus Ouïgoures
émigrèrent dans les oasis du bassin Tarim où ils sont
encore de nos jours.
Plus tôt, en 686, les tribus K'i-tan mongoles, se
sont établies dans la région du fleuve Liao en Mandchourie
et pillèrent la Chine du nord. Les Tang affaiblis obtinrent (en
payant) l'aide du Khan Motcho des Turcs de l'Ouest pour les écraser
durement en 697. L'expansion des K'i-tan fut ainsi retardée de 3
siècles. Elle eu lieu quand même 929 quand les K'i-tans chassèrent
les tribus Kirghiz (qui avaient remplacé les Ouïgours), jusqu'au
Ienisseï et même plus loin dans les steppes occidentales près
de la mer Caspienne. Les K'i-tans établirent leur hégémonie
sur la Chine du nord, de Datong à l'ouest de Pékin jusqu'à
la Mandchourie et dominèrent les sauvages tribus mongoles Djürctchât
de Oussouri. Au bout d'un peu plus d'un siècle les K'i-tan perdirent
leurs habiletés de guerriers nomades et tombèrent devant
la rébellion de leurs vassaux Djürctchât de l'est, toujours
puissants. Les Djürctchât envahirent les territoires
K'i-tan en 1114, fondèrent la dynastie "chinoise" des
Kin et continuèrent jusqu'à chasser les Song de Kaifeng à
Hangzhou sur la côte sud en 1132.
A l'ouest, l'Empire Samanide Iranien fut divisé
en 999 entre les Sultans Musulmans turcs Ghaznavides de l'Afghanistan qui
dominaient le Khorâssân au sud de l'Amou-Daryâ et les
Khans Musulmans turcs Qarakhanides de l'Issik Kul et de Kashgarie qui prirent
la Transoxiane et les steppes au delà du Syr-Darya. Profitant des
conflits entre ces deux états, un troisième groupe de tribus
turques du nord de la mer Aral, les Seldjouqs , entreprirent leur
expansion qui couvrira le Khorâssân, la Perse, l'Irak et la
Turquie autour de 1040.
A la fin du 12ième siècle, la Chine était
divisée en une partie sud gouvernée par la dynastie chinoise
des Song à partir de leur capitale Hangzhou et le nord, gouverné
par les Djürctchât mongols, se faisant appeler la dynastie Kin,
à partir de leur capitale Pékin. Le corridor du Kansou était
tenu par le royaume Tangout-Tibétain Si-Hia et les territoires ouest
jusqu'au Syr-Darya étaient entre les mains des Qara-Khitaï
dont les vassaux, les Qarakhanides occupaient la Kashgarie pendant que
les oasis du Tarim étaient occupés par des Ouïgours
qui s'étaient convertis, les uns au Bouddhisme, les autres au Christianisme
Nestorien. La Transoxiane et la plus grande partie de la Perse étaient
aux mains des Shahs turcs Musulmans du Khwârezm. C'était cela
l'Asie sédentaire. Les steppes, patrie des nomades, étaient
partagées entre diverses tribus indépendantes, certaines
turques (Kirghiz, Kéraït, Ouïgours), d'autres mongoles
(Oïrat, Tatar) ou encore turco-mongoles (Naïman, Mârkit).
Temudjin qui deviendra Genghis Khan est né en 1155
sur l'Onon, un affluent de l'Amour qui constitue la frontière nord-est
actuelle entre la Chine et la Russie. Orphelin à 12 ans, il passa
son enfance dans une pauvreté extrême qu'il supporta avec
l'aide de son frère Qassar. A 20 ans il épouse Börté,
la fille d'un chef de clan et devient le vassal de Togroul, roi des Kéraït,
qui plus tard l'a aidé délivrer sa femme kidnappée
par la tribu Mârkit. En 1196 il est élu Khan des tribus mongoles
et prend le nom Genghis. Deux ans plus tard, Togroul et lui vaincront les
Tatar qui avaient tué son père. En 1203 il défait
Togroul et les Kéraït se soumettent à son pouvoir. L'année
suivante, c'est le tour des Naïman d'être battus et de se soumettre.
En 1206 un grand kuriltai (assemblée) de toutes les tribus mongoles
et turques, tenu sur les rives du fleuve Onon, proclame Genghis "Khan
Suprême" de "Tous Ceux Qui Habitent des Tentes de Feutre".
Il entreprend alors de bâtir son empire en soumettant
le royaume des Xi Hia qui tenait Kansou en 1209. Il prend Pékin
des mains des Kin et les forçe à se retirer à Kaifeng
en 1215. Il accepte l'allégeance volontaire du Qara-Khitaï
(Ili, Talas, Issik Kul et Kashgarie) en 1218 et envahit l'Empire de Khwârezm,
prenant Samarkand en 1220 et Ourgendj en 1221. Ses généraux
Djébé et Subotai pillent la Perse, l'Azerbaïdjan et
la Géorgie. Ils passent au nord du Caucase, battent les tribus turques
Qiptchaq et leurs alliés Russes et prennent Kiev en 1222. Finalement,
Genghis Khan mourut en 1227 alors qu'il ravageait les rebelles Xi Hia dans
le corridor de Kansou.
A la mort de Genghis Khan, son second fils Djaghataï,
hérita des territoires entre l'Amou-Daryâ et la Chine de Kublai
Khan (qui ne comprend pas le Xinjiang actuel). Au 14ième siècle,
le Khanat de Djaghataï se divisa en une branche sédentaire
qui se convertit à l'Islam, adopta l'agriculture et s'établit
en Transoxiane au sud du Syr-Darya et une branche nomade qui gardait le
style de vie des mongols et restaient maîtres du Mogholistan entre
le Syr-Darya et la Chine.
Timour, un vassal Turc des Mongols Djaghataï en Transoxiane
vainquit ses maîtres et devint le fléau d'Asie Centrale connu
à l'ouest sous le nom de Tamerlan . A sa mort en 1407, son
empire s'étendait de la vallée Ferghâna la Mer Noire.
Son fils Chah Rokh ne put empêcher l'empire Timouride de se désagréger
en territoires rivaux. Après des décennies de lutte, l'Azerbaïdjan,
l'Irak et la Perse tombèrent sous l'autorité des Turcomans
à l'ouest autour et à l'est les Djaghataï renforcèrent
leur emprise sur le Mogholistan sous leur Khan Younous autour 1480.
Après la dislocation de l'empire de Tamerlan, la
horde Cheïbanide (de Cheïban, petit-fils Genghis Khan), qui occupait
les territoires au sud-est des montagnes de l'Oural et comprenait quelques
tribus Kirghiz, prit le nom de Ouzbek autour 1350 à la mémoire
du Khan Özbeg des Qiptchaq qui avait converti la plus grande partie
de sa horde à l'Islam un siècle plus tôt. Une mésentente
perpétuelle entre les descendants affaiblis de Timour laissait alors
la Transoxiane ouverte à l'invasion. Les Ouzbeks envahirent le Khwârezm
(au sud de la Mer Aral), et la Transoxiane (l'Ouzbékistan actuelle)
où ils prirent Samarkand en 1500. Quand ils commencèrent
à s'adapter à la vie sédentaire, (l'histoire se répète),
les Kirghiz et d'autres tribus dissidentes (qui seront connus sous le nom
de Kazakhs ou "aventuriers révoltés") se séparèrent
des Ouzbeks et créèrent une horde indépendante dans
le nord du Mogholistan avec la bénédiction du Khanat Djaghataï.
A peu près à cette période, les tribus
mongoles Oïrat commencèrent leur expansion hors de leurs territoires
traditionnels à l'ouest du lac Baïkal, chassant les Kirghiz qui
restaient des environs de l'Ienisseï et persécutant les Kirghiz-Kazakh
qui se déplacèrent vers l'ouest et se séparèrent
en trois hordes; la Grande Horde s'installa entre le Tian Shan et le lac
Balkhach, la Petite Horde entre le fleuve Oural et la mer Aral et la Moyenne
Horde, au nord des deux autres. Ils devinrent les Kazakhs d'aujourd'hui.
Autour de 1560, les tribus Kirghiz-Kazakh s'installèrent
dans la région de l'Issik Kul et est devinrent les Kara-Kirghiz,
les ancêtres des Kirghiz d'aujourd'hui. Les derniers Khans
Djaghatai furent laissés avec seulement la Kashgarie qui ne tarda
pas à se disloquer en plusieurs petits royaumes Khoja.
Pendant ce temps, les Oïrat en pleine expansion fondèrent
l'Empire Djoungar en 1680 soumettant l'ouest de la Mongolie, l'est
du Kazakhstan, le Tian Shan, et la Kashgarie. Persécutés par
les Oïrat, les trois hordes Kazakhs acceptèrent la protection
des Russes qui bâtirent une série des forts mais presque rien
d'autre, jusqu'à ce que les Mandchous déciment la population
Oïrat, liquident l'empire Djoungar et annexent la Kashgarie en 1760.
Puis les Russes vinrent annexer les territoires Kazakhs et amenèrent
des colons Cosaques pour travailler la terre.
La cavalerie ne put tenir tête aux canons et aux
mousquets et ce fut la fin de l'ère des Empires des Steppes...
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