Impressions de la Chine en 2000
La Chine construit partout ou plutôt elle se reconstruit à un rythme affolant peut-être jamais égalé sinon dans l'Europe renaissant de ses cendres après la seconde guerre mondiale. Les Chinois investissent massivement dans cet effort et consomment moins du tiers de leur PIB. Tout change. Les quartiers anciens sont systématiquement remplacés par de nouvelles constructions non seulement dans les grandes villes mais partout, jusque dans les villages reculés du sud du Yunnan où les pittoresques maisons Dai en bois brut sont en cours de remplacement par des habitations modernes plus confortables en briques. recouvertes de tuiles blanches dans le nouveau style Chinois. Cette transformation de l'environnement visible ne peut manquer d'influencer les mentalités et les valeurs de tout le monde y compris celles des vieux. L'image de la Chine que je retiens de ce quatrième séjour ici est celle d'un tourbillon de changement alimente par un désir irrésistible des avantages matériels de la modernité. La locomotive de ce mouvement n'est pas le gouvernement mais plutôt le tiers urbain de la population et surtout les jeunes qui aspirent à la culture de la consommation dont l'image a traversé toutes les censures depuis longtemps. Les moins jeunes et les paysans se laissent entraîner dans le mouvement sans trop de résistance pour le moment. Nous assistons à une véritable explosion d'initiatives privées. Des entreprises nouvelles surgissent de toutes parts comme des champignons après la pluie. Dans ce contexte d'ébullition sociale avide, je pense que le relâchement soudain des contrôles de l'état et l'application intégrale de la charte des droits de l'homme conduiraient au chaos avant l'établissement de l'encadrement juridique et des institutions qui pourraient rendre possible un régime de droit en Chine. Sans la violence extrême de l'actuelle répression de la corruption et des entreprises criminelles, qui ne manquent pas d'apparaître, une large part de l'économie passerait rapidement aux mains de la Maffia comme cela s'est produit en ex-URSS. La Chine d'aujourd'hui est comme une diligence sans freins entraînée à folle allure à travers une terre sans piste par un équipage de chevaux qui ont pris le mors aux dents que le conducteur cherche à modérer dans l'espoir d'éviter la catastrophe imminente. En d'autres mots, ils ont un tigre par la queue! Il importe de ne pas sous-estimer la puissance destructrice de cette vague de fond d'ambition et d'avidité dans un pays traditionnellement soumis à l'arbitraire des mandarins et dernièrement à celui du Parti Communiste. L'encadrement fourni en occident par le régime de droit, par les tribunaux et par tout un ensemble de structures indépendantes comme les médias, n'existe pas en Chine. Sans cette influence modératrice, le tourbillon pourrait devenir tornade... Les Chinois ont vu le résultat de la "thérapie de choc" des réformes radicales qui furent appliquées en ex-URSS suite aux conseils de consultants occidentaux et aux pressions du F.M.I.. Il est peu probable qu'ils se risquent à adopter ce modèle. Je suis d'avis pour ma part que la Chine est en train de s'orienter vers une société de droit, non pas par idéologie mais mais parce qu'elle a compris que ça marche et que c'est dans son intérêt de le faire. Les hommes d'affaires chinois sont les premiers à réclamer un droit commercial moderne et des tribunaux impartiaux dotés des moyens requis pour faire respecter leurs décisions. Il faut s'attendre à ce que la Chine prenne au moins une génération pour implanter les structures et traditions juridiques que l'occident a mis des siècles à développer. Ceux qui voudraient que "Paris se fasse en un jour" et qui crient au scandale au sujet des droits de l'homme en Chine sont paradoxalement les mêmes qui hier supportaient Augusto Pinochet au Chili et qui supportent encore nombre de dictateurs du même acabit aujourd'hui. En pratique, il est peut-être préférable pour tout le monde que la Chine ait un gouvernement franchement autoritaire qui évolue constamment à son rythme vers une plus grande libéralisation plutôt que l'hypocrisie d'un régime qui manipule savamment les rituels de la démocratie pour maintenir des inégalités sociales extrêmes au profit d'une oligarchie corrompue comme en Inde et aux Philippines pour n'en citer que deux parmi plusieurs (Dans un premier brouillon, j'avais mentionné le Mexique mais je l'ai enlevé pour voir si Fox va vraiment faire une différence!). Il est utile, pour bien comprendre la Chine d'aujourd'hui, de comparer son évolution récente avec celle de ses deux grands voisins, l'ex Empire Soviétique et l'Inde. En toute justice, l'évolution de la qualité de la vie du citoyen moyen en Chine au cours des cinq dernières décénies doit être comparée à celle d'une population comparable, comme celle de la qualité de la vie en Inde pendant la même periode. Ce croquis positif de la Chine ne ressemble pas beaucoup à celui que les media "politiquement corrects" montrent en occident mais c'est bien ça que j'ai vu à l'hiver 2000. Le géant endormi se réveille... et à un rythme bien plus important qu'on aurait cru possible! |
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